La RAAM de Patrick Autissier

velo conceptComme vous devez le savoir maintenant, j’ai decide d’arreter la RAAM 2005 a la Time Station 29, situe a Yates Center dans le Kansas, apres 2630 Km parcourues. Ca a ete une decision tres difficile a prendre, etant donne le nombre de personnes, les sponsors, mon equipe, qui m’ont toujours aide et soutenu dans mon projet. Je veux aujourd’hui vous expliquer les raisons qui m’ont pousse a prendre cette decision tres douloureuse.

Quand j’ai commence a preparer la RAAM, j’ai telephone a d’anciens coureurs et pris le maximum d’infos disponibles pour me faire une idee de la durete de cette course. Tous m’ont dit que cette course etait un roller coaster geant, tant pour le physique que pour le mental. Et c’etait particulierement intense pour les rookies (les coureurs qui font la RAAM pour la premiere fois). Mais evidemment, malgre ces infos, rien ne vous prepare vraiment a ce que vous allez vivre.

Depuis que nous etions arrives a San Diego, tout etait parfait. Les vehicules etaient fin prets, mon equipe avait travaille comme des pros, toutes les autres equipes pensaient qu’on etaient des veterans de la RAAM. Le dimanche matin, je me suis enfin retrouve sur la ligne de depart dont j’avais reve depuis plus de 4 ans, et en plus je me retrouvais entre 2 vrais legendes de cette course, Rob Kish, 19 participations a cette course mythique, et Bob Breedlove. Je connaissais un peu Bob, car nous avions participe ensemble a un seminaire sur le sommeil fait par Claudio Stampi. Nous avons brievement discute avant le decompte final et le depart officiel de la course. J’ai senti chez lui un enthousiasme de gosse, et clairement il avait envie d’etre la.

Le premier jour de course s’est bien passe, malgre une chaleur infernale de plus de 35C dans le desert. Le soir meme, me sentant tres fatigue, Rob a pris ma tension qui etait de 9/6. Il m’a aussitôt mis sous perfusion, afin de recuperer rapidement. Ca ne m’a pas destabilise car c’est quelque chose d’habituel dans la RAAM, mais ca m’a fait prendre conscience que cette fois, ca y etait, j’etais en plein ccœur de l’action, et que le roller coaster n’allait pas tarder a accelerer.

Des le deuxieme jour, les choses se sont aggravees. La chaleur etait toujours oppressante et commencait a avoir un effet devastateur sur mon organisme. Comme je vous l’avait dit, je n’avais pas eu l’occasion de m’y preparer, car on a eu un temps hivernal a Boston jusqu’au mois de Juin. A ce moment de la course, il y avait deja 2 abandons : Dave Kees et mon copain John Delia ; Je l’ai vu arrete le long de la fameuse ligne droite la plus longue de la RAAM : 40 Km sans aucune ombre, sous une chaleur de plomb. Il etait manifestement epuise, et j’avais de la peine pour lui, pour sa femme et sa fille aussi qui etaient dans son equipe. Et je commencais a me poser des questions sur ma capacite a surmonter cette epreuve. L’apres midi meme, je connaissais mon premier gros  » lows « . Un col d’une dizaine de Km sous une chaleur accablante m’a litteralement vide de toutes mes forces, et il a fallu les encouragements constants d’Herve pendant la montee pour m’aider a surmonter cette difficulte. Apres un arret en debut de soiree et une autre perfusion, je suis repartie dans la nuit de Lundi a Mardi. Je ne le savais pas encore, mais la journee de Mardi allait etre magique pour moi et mon equipe. J’ai pu recuperer des forces grace sans doute a une chaleur un peu moins brutale et un vent favorable. Nous avons traverse l’Arizona, et avions prevu un arret a Kayenta le soir. Cependant, je me suis surpris a rouler tres vite sur cette portion de route ou le paysage etait d’une beaute incroyable. A l’arrivee a Kayenta, Olivier m’a demande ce que je faisais. Je lui ai dit que je continuais, et lui et l’equipe etaient ravis car nous allions traverser Monument Valley au coucher de soleil. Les heures qui suivirent furent sans conteste les moments les plus forts de la RAAM pour nous. Steve, notre cameraman branche en permanence sur 100.000 Volts, etait aux anges et a fait des plans de toute beaute. On savait tous que des moments comme ca dans la RAAM etaient tres rares, et nous en savourions chaque instant.

Quand nous sommes arrives dans le Colorado, toujours sous la chaleur, les problemes physiques ont commence a apparaître : blessure a la selle et manque de sommeil. Je savais que ca allait arriver, et donc je prenais le temps de soigner mon  » butt « , sachant que si la blessure empirait, c’etait une cause irremediable d’abandon. Cependant, cette strategie m’a mis dans une position delicate pour franchir le deuxieme cut off a Mount Vernon. Il a fallu que je roule plus longtemps. Le Vendredi matin, je roulais sur une portion de route plate avec vent favorable a plus de 40 Km/h, et je m’endormais litteralement sur mon velo. A un moment, je me suis deporte sur la gauche de la route et une voiture arrivait en face. Il a fallu que Jerome klaxonne pour me  » reveiller « , et que je me remette sur la droite de la route. La, j’ai commence a prendre conscience du danger de cette course. Ce meme vendredi, Olivier m’a dit qu’il fallait que je roule vraiment longtemps pour esperer passer le cut off du Samedi matin. Pendant cette journee de stress intense, il a fallu que Rob me pose une perfusion a un arret dans une station service tellement j’etais epuise. Ca m’a fait beaucoup de bien, et je suis reparti au bout d’1/2 heure. En fin d’apres midi, je me sentais vraiment bien et j’ai accumule beaucoup de Km. Au petit matin du Samedi, je suis reparti pour les derniers 150 Km avant le cut off. Je savais que j’allais les faire, mais j’ai eu de nouveau un gros coup de fatigue, et j’ai lutte les 3 dernieres heures pour ne pas m’endormir. J’etais totalement epuise, mais le cut off etait reussi, la moitie du parcours etait fait et j’etais prêt a continuer la course, apres un bon sommeil.

Malheureusement, je n’ai dormi qu’une heure. Je ne me sentais pas prêt de repartir aussitôt, et j’ai demande a lire mes emails. Et je suis tombe sur un email d’un chercheur de mon labo, qui me disait qu’il etait tres triste de ce qui etait arrive a Bob Breedlove. J’ai appele Rob, et il m’a annonce que Bob Breedlove avait percute une voiture, suite probablement a un malaise, et etait mort sur le coup il y a 2 jours. Cette nouvelle m’a completement detruit dans la seconde. Pendant que j’essayais de me preparer a repartir, Rob a reuni toute l’equipe et leur a dit que la priorite a partir de maintenant etait ma securite, et plus le dernier cut off qui etait Mardi matin. Je suis reparti, mais clairement, l’envie n’etait plus la. J’ai roule toute l’apres midi en pensant a Bob, a sa femme et ses 5 enfants. J’ai revecu les 2 matins ou je m’endormais sur mon velo. Et j’ai bien sur pense tres fort a ma femme et mes enfants. Est-ce que la RAAM, epreuve unique au monde et fascinante a bien des aspects, meritait une telle prise de risque ? Jim Pitre, l’organisateur, avait dit au banquet que la priorite numero 1 est la securite. Et bien que lui et son equipe font des efforts extraordinaires pour minimiser les risques, la nature de la course elle-meme, 4800 Km de course velo sur routes ouvertes, est tres dangereuse, surtout pour des cyclistes qui poussent jusqu’à leurs limites physiques.

En arrivant a la Time Station suivante, J’avais deja pris ma decision d’arreter la course. J’ai demande a telephoner a ma femme. Pendant ce temps, l’equipe etait sous le choc de voir cette course s’arreter comme ca, parce qu’ils pensaient que j’avais les qualites physiques pour la finir. Cependant, cette course requiert aussi un mental hors du commun, et il etait clair que la nouvelle de la mort de Bob m’avait profondement bouleverse, et je n’avais plus cette envie en moi. J’avais tout simplement peur sur mon velo, pour la premiere fois de ma vie. Quand nous etions dans Monument Valley, 4 jours avant, j’ai roule dans une descente sur une petite route sinueuse a plus de 80 Km/h, et je me sentais bien, ne pensant pas un seul instant a l’accident. Et maintenant, je descendais les routes quasiment en freinant.

Anne-Cecile, ma femme, m’a convaincu de repartir quand meme jusqu’a la prochaine Time Station, pour essayer de passer ce moment difficile. Et elle m’a dit que si ca n’allait pas mieux, il fallait que j’arrete. Ces 5 heures de velo ont ete un vrai calvaire au plan emotionnel. Je savais que si je voulais reussir le dernier cut off de mardi matin, il aurait fallu que je roule longtemps avec encore une prise de risque maximale. Et je n’etais plus prêt a prendre ce risque pour moi, ma femme et mes enfants. Le jeu n’en valait plus la chandelle. J’ai travaille pendant 20 ans en France dans un centre pour para et tetraplegiques, et j’ai vu les consequences que peuvent avoir une chute velo a haute vitesse. Quand je suis arrive a Yates Center, KS autour de minuit, j’ai annonce a l’equipe que j’abandonnais la course. Ils ont tous accepte ma decision. Rob a telephone au QG de la RAAM, en leur annoncant mon abandon.

La RAAM 2005 etait fini. J’etais tres triste de ne pas finir cette course, de peut-etre decevoir les sponsors, mon equipe, les gens qui m’ont soutenu et aide durant ces derniers mois, esperant me voir franchir la ligne d’arrivee a Atlantic City, et ainsi cloturer de la plus belle maniere qui soit un projet magnifique. Mais en meme temps, j’etais tres soulage que ca se termine. Nous sommes Jeudi, nous sommes a Boston apres un court passage a Atlantic City, et je ne regrette pas un seul instant ma decision, qui je suis sur etait la seule a prendre pour moi.

Pour conclure, j’aimerais vous remercier pour votre soutien constant. Quand on me lisait vos emails, en general la nuit, je peux vous dire que ca me faisait un bien fou, et il y avait ce cote magique de la situation qui ne me lassait jamais. J’aimerais aussi remercier les sponsors sans qui rien n’aurait ete possible. Mon equipe quant a elle a ete incroyable de determination, d’enthousiasme, tout au long de ces 7 jours de course. Ils ont fait un travail fantastique pour me motiver, regler les problemes quand ils arrivaient, vous tenir informe du deroulement de la course, et cela toujours dans la bonne huneur malgre tres peu de sommeil pour eux aussi ; Je ne les remercierai jamais assez pour leur devouement.

Meme si la course est fini pour moi, et que je n’ai pas reussi a rouler jusqu’à Atlantic City je suis fier de ce projet. Je suis alle au bout de moi-meme, essayer de faire prendre conscience aux gens de la necessite d’un vaccin contre le SIDA. Ce projet n’est cependant pas tout a fait fini. Rob et Olivier vont analyser les heures d’enregistrement cardiaques et de mesures physiologiques effectuees pendant la course. Jerome a prevu au moins 1 ou 2 articles sur le projet, et peut-etre meme un livre. Je vais recuperer une trentaine d’heures d’images tournees par notre excite numero 1, LE Steve, avec peut-etre dans l’idee de faire un DVD. Enfin, je pense organiser une soiree de cloture du projet, probablement en Septembre, afin de remercier toutes les personnes qui ont, de pres ou de loin, contribue au succes de ce projet, car je suis sur que ca reste un succes. A cette occasion, je montrerais au moins un diaporama, avec les meilleurs photos qu’a pris Jerome (2000 photos prises en tout).

J’aimerais finir en ayant ce soir une pensee pour la famille de Bob Breedlove, et ses amis. La RAAM etait clairement sa passion, et si ca peut attenuer votre chagrin, je peux vous dire que sur la ligne de depart, il etait heureux comme un gosse un soir de noel qui recoit son cadeau.

Patrick