Cyclovolcanique: Campagnes toxiques!

velo conceptPar Janick Lemieux et Pierre Bouchard
En débarquant à Tanjung Priok, le port de Jakarta, je quittais la cale enfumée d’un paquebot pour pédaler à l’air libre, à pleins poumons dans l’atmosphère saturé de monoxyde de carbone de Jabotabek (acronyme désignant la conurbation formée de JAkarta, BOgor, TAngerang et BEKasi), création urbaine monstrueuse rivalisant de superlatifs humains avec les Lagos, Mexico et Sao Paulo. Sur des boulevards à 4 voies et demie–en réalité seulement 3 plus une et demie fictives pour les légions de scooters, bajais (bulles sur 3 roues motorisées de fabrication indienne diaboliquement «madmaxiennes») et toutes sortes de vélos qui se faufilent à travers les 4 roues embouteillés…–, je vacille dans une autre dimension en suivant automatiquement les émanations hallucinogènes jusqu’au coeur de la mégalopole: une vingtaine de kilomètres hors du temps!
Appréhendant rouler hors de Jabotabek pour entreprendre ma patrouille des volcans de l’ouest et du centre de Java avec le Krakatoa, je m’embarque avec ma fidèle et mes pénates sur le train de Merak jusqu’à Serang, environ 90 kilomètres à l’ouest du centre de Jakarta. Pour 4500 rupiahs (environ 75 cents!), un tour de manège fulgurant: déjà bondé de monde à son arrivée à la gare de Tanah Abang, je n’avais que 90 secondes pour nous hisser à bord du premier wagon où nous sommes demeurés périlleusement sur le «perron», le vélo chargé bloquant l’entrée et moi le retenant depuis la marche donnant sur le soufflet entre notre voiture et la locomotive! Il y avait des passagers partout, encombrant les toilettes, les toits des wagons et s’accrochant même à leurs flancs! Jusque sur la locomotive ainsi qu’à l’intérieur de la cabine du conducteur du train, visiblement consentant et habitué! À chacun des nombreux arrêts durant ces trois heures de démence, une marée humaine de vendeurs ambulants et citadins en transit entrent et sortent du train en grimpant par-dessus ou contournant ma montagne de sacoches et tubes de métal. Je m’imagine déjà arrêté, condamné et exécuté dans n’importe quelle ville d’Occident mais ici on me sourit, salue et soutient! Les «Jabotabekois» ont apprivoisé le surpeuplement et ont fait de la tolérance une essentielle vertu…
À Serang, centre de services pour la campagne des environs achalandée et dortoir pour les ouvriers de l’une des plus grandes aciéries d’Asie, la «PT Krakatau Steel», sitôt après avoir traité de la nature de mes déplacements en anglais devant une classe d’une école secondaire musulmane privée–de jeunes professeurs m’avaient kidnappé la veille dès ma sortie du train!–, j’ai mis le cap sur la petite ville côtière d’Anyer et le Détroit de la Sonde, bras de mer entre Java et Sumatra. Entre véhicules qui défilent continuellement à ma droite–on roule à gauche en Indonésie–, j’entrevois les complexes hôtelliers qui se succèdent sur une quarantaine de kilomètres et la surface verdâtre du détroit en de rares «fenêtres». À Pantai Carita (Carita Beach), je campe à peu de frais dans l’enceinte gardée de l’un de ces hôtels et attends qu’un pourvoyeur de services touristiques trouve d’autres clients pour justifier une excursion en hors-bord vers les îles Rakata, Sertung, Panjang et Anak Krakatau, respectivement les rescapés et le bébé du Krakatoa, le théâtre maritime de l’une des plus importantes éruptions volcaniques qu’a connues l’humanité! Son explosion cataclysmique du 27 août 1883 a été entendue de Perth, en Australie, jusqu’au Sri Lanka: la plus grande détonation jamais enregistrée! Comme cette époque coïncidait avec la naissance du premier véritable sentiment d’identité globale, on croyait qu’on venait d’entonner ainsi le début de la fin du monde…telle une chimère mort-née!
C’était le weekend. Des professeurs d’anglais enseignant leur langue maternelle à Jakarta venus se divertir sur la côte étaient preneurs, aguichés surtout par les possibilités de snorkelling au-dessus du récif de Rakata que comprend aussi le forfait. J’ai pu donc profiter de notre pied à terre sur Anak Krakatau, cet enfant terrible qui naquit en 1928 seulement du gouffre créé par l’éruption historique, pendant que les 4 «teachers» se remettaient de la traversée houleuse, pour courir illicitement jusqu’à son sommet (presque 200 mètres au-dessus du niveau de la mer et croissant toujours…), décrétée activité illégale en raison des dangers que posent des émanations sulfureuses létales. Mais je n’avais pas l’intention d’y demeurer longtemps: en sandales, je jouais à la marelle entre des carrés jaunes et brûlants, les Pentax autour du cou, retenant ma respiration et faisant clic, clic, clic!

De retour sur la terre ferme–cette sortie au beau milieu du Détroit de la Sonde représente le dernier voyage nautique de cette étape qui, vous l’aurez remarqué, en a comporté tellement qu’on pourrait croire qu’il s’agit d’un trip de plaisanciers!–, j’appuie sur les pédales et longe les contreforts de l’épine dorsale de l’ouest de Java sur une route sinueuse en asphalte et dents de scie: Labuhan, Pandeglang, Rangkasbitung et Bogor. C’est la route #2 et elle me fournit de consistants vertiges au monoxyde jusqu’à Cianjur où je bifurque sur une petite route de campagne enfilant village sur village vers le réservoir Cirata. Entre Bogor et Cianjur, la montée et descente du col Punçak, franchissant une épaule du complexe volcanique Pangrango/Gede à quelque 1900 mètres d’altitude, ne fut point l’expérience bucolique que les guides de voyage et les cartes suggèrent: camionnettes et autres motorisés qui toussotent noir sous l’effort de la montée se succèdent pare-chocs à pare-chocs devant litanies d’hôtels, commerces, stands aux denrées et artéfacts de toutes sortes, puis par-delà de rafraîchissantes plantations de thé pour réintégrer la même guirlande d’établissements touristiques! Plusieurs en désuétude et d’autres à vendre, l’offre y excède vraisemblablement la demande!
En me perdant dans les parages du réservoir Cirata–dont la construction d’un barrage ou deux sont postérieurs à la publication de ma carte «Java-Bali» de Nelles…–, j’aboutis sur des tronçons routiers plus tranquilles franchissant maints villages aux toitures de tuiles rouges, mosquées à l’architecture typiquement javanaise et rizières luminescentes. De n’importe quel point le long de ce mince segment sur ma carte, il est possible de voir l’oeuvre de l’homme, ses bâtiments, terrasses ou canaux. Java, avec une superficie de seulement 132 000 km, abrite 60% des quelque 220 millions d’Indonésiens. Même certains volcans y sont surpeuplés, ce que j’ai constaté par la suite: depuis le labyrinthe aquatique et montagneux du réservoir Cirata, je suis parvenu sur les abords du cratère Ratu, à environ 1800 mètres l’un des trois évents du volcan Tangkubanperahu–littéralement le «bateau renversé», titre qui évoque une légende des hautes terres de la Sonde relatant un amour royal et incestueux frustré…–, pour découvrir une colonie de centaines de vendeurs de «cossins» et petits restaurateurs avec leurs installations permanentes cramponnées sur la circonférence de l’antre béante et fumante! Cette flexibilité et tolérance de la part des autorités de ce parc national indonésien m’ont toutefois permis de camper gratuitement et au frais entre le mini bidonville volcanique et la soufrière du Tangkubanperahu!
Suivant une autre séance photographique privilégiée, je me suis laissé descendre sur les pentes du versant sud du volcan, tapissées et striées de cultures maraîchères, me méfiant du traffic et saluant cyclistes du dimanche, jusqu’à Bandung, capitale de Jawa Barat (Java Ouest), une agglomération d’environ 5 millions d’habitants occupant la cuvette de la caldeira de la Sonde. À mon arrivée, les artères principales sont prises d’assaut par cohortes de camions, voitures et scooters débordants de militants qui arborent les couleurs de leurs partis et scandent ses slogans, soit en criant, tappant sur des tambours et le plus souvent en appuyant sur le klaxon! À une semaine du scrutin national, la campagne électorale bat son plein. Ici, semble-t-il que c’est en organisant des défilés politiques automobiles, emplissant les rues de vacarme, couleurs et monoxyde, qu’on se démarque de ses adversaires et gagne des voix…et ça gagne en intensité!


Légende des photos

Photo 1: victimes de la «campagne toxique»? Non, pour des raisons que j’ignore toujours si ce n’est que par un curieux soucis esthétique, les petits poussins à vendre qui se balladent à l’arrière de ce vélo ont été arrosés au fusil avec de la peinture à l’eau! Rien à voir non plus avec Pâques, il s’agit de petits cocos musulmans!
Photo 2: «point bucolique» mais quand même époustouflante! Par-delà Bogor et Cisarua, la montée vers le col Punçak (1900 mètres) effectue une spirale parmi des plantations thé au vert rafraîchissant et patrons surréels.

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