Cyclovolcanique: Les esprits verts de karkar

Par Janick Lemieux et Pierre Bouchard

Nous avons touché la Nouvelle-Guinée, le «continent», à Lae. Même si une route y permet de gagner Madang, plus à l’ouest sur la côte, nous nous sommes embarqués sur un cargo mixte, le M.V. Umboi, pour une croisière de 36 heures avec escales à Finschafen et Wasu, deux importantes communautés «coincées» sur la péninsule Huon. Bien que les 420 kilomètres entre Lae et Madang peuvent être tentants, une de nos montures comporte un jeu de pédalier putréfié et cette route qui donne aussi accès aux fameuses Highlands est réputée pour ses embuscades et attaques à main armée! Lae elle-même ne jouit pas d’une plus enviable renommée: le taux de criminalité de la deuxième plus grande ville du pays n’a d’égal que celui des profits de ses entreprises oeuvrant dans la sécurité! Il s’agit de l’industrie de services la plus dynamique de toute la Papouasie Nouvelle-Guinée! Nous n’étions donc pas trop surpris d’y observer des convois de camions et autobus d’agents de sécurité défilant jour et nuit dans les rues aux bâtiments emballés de barbelés pour aller relayer leurs collègues «sur le front»!
Nous cueillons un nouveau jeu de pédalier à la poste de Madang. C’est encore Bruce d’Adventure Cycles, le vélociste philanthrope d’Auckland, qui s’est chargé de nous remettre sur roues! Nous refaisons une «humanité»–depuis que nous avons quitté Kimbe et la Nouvelle-Bretagne, nous sommes faits «barouetter» pas mal…–à camper pendant quelques jours dans le confort et l’air climatisé de la salle de conférence de l’école secondaire Tusbab: une invitation de la direction qui avait pris connaissance de notre expédition lors de la parution d’un article en décembre dernier dans le Post-Courier! Nos supporteurs instantanés rédigent même une lettre d’introduction pour nous garantir le soutien de certains membres influents d’une plantation et communauté de l’île de Karkar, toute proche, terre fertile qui abrite 60 000 insulaires, quelques cocoteraies prospères et un volcan actif, le Bagiai…c’est ce qui nous amène à Madang!
Nous montons à bord d’un petit transporteur de coprah qui a l’habitude de se surcharger de villageois, le M.V. Thompson. L’île au profil volcanique, un cône atteignant plus de 1800 mètres avec le mont Kanangio, en pleine proue, attire comme un chant de sirène. Une route de terre d’environ 80 kilomètres l’encercle, franchissant plantations et enfilant toute une litanie de villages. Nous effectuons une boucle dans le sens contraire des aiguilles d’une montre qui nous ramènera à Biabi et le Thompson. Coups de pédale tropicaux fort agréables. Aux trois quarts du petit circuit autour de Karkar, parvenons à l’intersection qui nous permet de nous hisser jusqu’au village de Kavasob. C’est là que nous devons contacter un ami des directeurs de l’école Tusbab afin qu’il nous fournisse les guides pour l’ascension vers le Bagiai. Comme notre homme besogne dans la jungle, on l’appelle en battant un message sur le «garamut», gros tambour sculpté dans un tronc d’arbre: chaque adulte du village y possède son code! Il redescend. S’ensuivent accueil protocolaire et organisation de l’excursion. Départ dès l’aube le lendemain.
Le Bagiai s’élève au beau milieu d’une caldeira, elle-même contenue par une autre, au beau milieu de l’île: c’est le nombril de Karkar! Lors d’une violente phase éruptive en 1979, le volcan Bagiai a tué deux volcanologistes, un Papou et un Australien, appartenant tous deux à l’Observatoire de Rabaul. Les gens de l’île, enclins à toutes sortes de croyances, prétendent que les scientifiques ont provoqué la colère des «masalaïs», les esprits de Karkar, en jetant des ordures dans la caldeira depuis leur camp d’observation. Dommage que le décret magique ne s’étende pas au-delà de la caldeira!
Notre petit groupe progresse bien. Hormis Faron, le guide, notre équipe compte 6 garçons de Kavasob profitant des derniers jours du grand congé scolaire. Ils ne manquent aucun faux pas de leurs «clients» pour rigoler, les pauvres buttant contre une racine, glissant sur un tronc d’arbre ou s’empêtrant dans des lianes. On grimpe tout ce qui porte des fruits aussi! Par-delà la première caldeira et cheminant vers les abords de la deuxième, Faron s’arrête puis nous regarde tous solennellement: «Que je n’en entende pas un! Il ne faut surtout pas faire de bruit. Sinon, les «masalaïs» enverront un brouillard qui nous enveloppera et nous perdra tous. Silence!» Contre la pollution du bruit aussi, décidément, on gagnerait à exporter le code de conduite de ces esprits «verts» hors de Karkar!

 

Photo 1: à Madang, lors de l’embarquement sur le M.V. Thompson, un jeune insulaire venu saluer ses «wantoks»–membres de sa grande famille…–au départ. Le jeune homme est coiffé d’un bonnet de laine que tricotent et vendent des Highlanders. Une sorte de manifestation du «melting pot» papou…
Photo 2: après une longue et chaude journée de labeur dans la plantation, on pédale vers la hutte familiale. Quand de drôles de visiteurs à vélo l’interpellent et lui proposent de croquer son portrait, notre cycliste accepte timidement et se crispe même. Mais quand il voit les résultats affichés à l’endos d’un appareil-photo minuscule, il ne peut pas s’empêcher d’être amusé par sa propre tête! Comme ma grand-mère disait: «Si on ne vaut pas une risée, on ne vaut pas grand’chose!»

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