Cyclovolcanique: Mauvais quarts d’heure au pays de la sonde

velo conceptPar Janick Lemieux et Pierre Bouchard
Je joue dans le traffic de Bandung avec collègues aux «beçaks» (tricycles-taxis) les plus colorés et stylisés que j’ai vus en Indonésie. Comme eux, je m’amuse à changer de voies au gré des ouvertures dans le flot de motorisés et rouler en sens inverse quand cela m’arrange, sert mes desseins: sortir de la ville! Presque 2 heures après avoir quitté le centre de la capitale provinciale, je pédale sur la route qui me conduira au volcan Patuha, seulement une trentaine de kilomètres de montée plus au sud. La pente est douce jusqu’à Soerang et les paliers des rizières s’étendent devant les monts Priangan telles d’immenses dalles de marbre jaune. Ce carrelage géant est animé de petites fourmis aux chapeaux coniques affairées à couper les gerbes mâtures et les battre. Les prières destinées à Allah qui s’échappent de hauts-parleurs accrochés aux minarets de Soerang emplissent les champs de leurs nasillardes distorsions et confèrent à la sempiternelle récolte un rien de solennité…voire sacré!
Au-delà de Soerang, la route pénètre l’enceinte des Priangan et s’agrippe fermement à leur relief accidenté. Les rizières aux palettes de vert dégringolent en cascades. Des terrasses aux jeunes repousses, inondées, réflètent les vieux volcans touffus et les taches rouille que forment les villages qui pullulent dans la vallée. Hors de la gorge maintenant, je traverse toute une succession de devantures aux oranges confites multicolores, spécialité culinaire de Ciwidey. Au-dessus de la bourgade montagnarde, où l’ascension continue, abrupte et sinueuse, on affiche à toutes les deux maisons «strawberry juice»…je ne me fais pas prier—même si c’est ce qu’on fait partout…–pour prendre une pause et jouir des fruits du pays!
Encore plus de cultures de climat tempéré avec leurs potagers et étangs-piscicultures ou lave-minibus—ou les deux à la fois!—et j’intègre une forêt de pins avec îlots de bambous. Je crois être parvenu sur le plateau qui départage les eaux entre la mer de Java et l’océan Indien. Il y a le volcan tout boisé Masingit à ma droite et le Patuha sur ma gauche qui pourraient confirmer cette impression. Quand j’arrive à un regroupement de kiosques aux murs de nattes de bambou tressées d’où part une route vers le Patuha, leurs tenanciers et habitants m’annoncent que je suis parvenu aux portes du Kawah Putih, lac aux eaux acides occupant l’un des deux cratères de ce volcan. Le cul-de-sac de 5 kilomètres oscille entre 1700 et 2200 mètres au-dessus du niveau de mer…ma journée n’était pas terminée!
En découvrant le lac spectral où cailloux et souches carbonisées émergent du brouillard sulfureux telles des épaves hantées, absolument seul en ce lieu fantomatique, j’ai été transi d’effroi…peut-être ai-je trop fréquenté de ces gens qui habitent un monde peuplé de monstres, esprits et revenants! Je me suis concocté des nouilles réconfortantes aromatisées d’herbes et épices familières à la lumière de ma Petzl puis me suis ressaisi. J’ai ensuite monté la tente sous un pavillon—c’est un parc ou une réserve, difficile d’en être certain avec le laisser-aller indonésien…–avec vue sur le lac lugubre et fascinant. Le silence est dense autour du cratère. Plus tard, quand la lune perce les nuées, le Kawah Putih éblouit. Le décor aux silhouettes et grisailles fantastiques se prête au recueillement et je me laisse alors envahir par la tristesse du départ de ma grand-mère dont je venais de suivre les derniers jours d’agonie sur internet…ma famille l’enterrait dans Charlevoix pendant que je gisais sur un matelas gonflable dans le cratère d’un volcan à l’autre bout de la terre!
Le lendemain ne fut pas ma journée! En plus de rater les funérailles de ma grand-mère—cette dame admirable était très près de ses enfants et petits-enfants, «… c’est mon secret pour rester jeune!» confiait-elle en riant–, je pète ma jante arrière, le pneu ainsi que le tube à la descente du Kawah Putih! Je parviens quand même à Ciwidey à vélo: 10 kilomètres à rouler toutes étincelles métal sur asphalte! Je confie ma monture et bagages à une famille pendant que je me descends en bus à Bandung pour acheter une nouvelle roue. Je trouve. Mais au retour, préoccupé et distrait, je laisse sur la banquette d’un autobus de ville ma petite trousse Outdoor Research contenant tous mes documents importants: passeport, cartes bancaires, cahier de notes, contacts, billet d’avion et tout mon fric! J’alerte tout de suite les autorités au terminus mais il est trop tard, la trousse noire n’est plus dans le bus! Je vis un véritable cauchemar dont je me réveille rapidement afin d’entreprendre une à une les étapes à suivre en pareille situation d’urgence: rapporter l’événement à la police, contacter son ambassade pour conseils, instructions et nouveau passeport, sa famille et amis pour transfert de fonds, son agence de voyages pour procédures à suivre pour nouveau billet puis les bureaux d’immigration locaux afin d’obtenir nouvelles estampes d’entrée au pays…pour pouvoir en sortir!
Janick a été vite sur ses patins depuis ses quartiers en Colombnie-Britannique pour me renflouer—les tenanciers de l’hôtel où je logeais à Bandung m’avaient heureusement passé de l’argent!—via Western Union et j’ai tout de suite amorcé les démarches en faxant rapport de police et formulaires dans les bureaux de tout ce beau monde à Jakarta. Comme le weekend allait débuter et que les bureaux étaient fermés le lundi suivant—les élections en Indonésie…–, je profite de ce «long weekend» pour effectuer une dernière «sortie» et compléter ma patrouille des volcans sundanais avant de regagner Jakarta et courir jusqu’à m’étourdir entre ses tours à bureaux. Un sprint et safari-photos quand même grisants avec accès cyclables aux cratères Kawah Kamojang et Kawah Papandayan, parcours sublimes parmi les représentants fumants des Priangan: Guntur, Malabar, Papandayan, Cikuray, Wayang et Tilu.
J’aurais aimé pouvoir vous parler de ces évènements plus tôt mais j’en étais incapable…il y aura une 75ième communication qui mettra un terme moins cahoteux à ce deuxième moment de notre quête «cyclovolcanique». Merci d’être là! À bientôt!

Légende des photos
Photo 1: des «bok choy», ces petits parents de la famille du chou chinois, vont quitter leurs terres natales et fertiles des monts Priangan pour se retrouver sur les marchés et tables des foyers de Bandung. Le volcan Cikuray (arrière-plan) n’est pas étranger à l’enrichissement de ce terroir prolifique…
Photo 2: café sur les rives du Kawah Putih. Magnifique et paisible matin qui n’augurait en rien la chaîne d’évènements qui allaient se succéder!

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